Cela fait 5 ans que je suis aidant : je n’ose pas le dire, mais c’est lourd

Mise à jour le 7 mars 2023
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La lassitude est normale quand on prend soin d’un proche depuis des années, mais souvent difficile à assumer pour les aidants. Les conseils d’Hélène Rossinot, médecin et spécialiste des aidants. En parler, échanger : toutes les façons de se délester (un peu) de la culpabilité… pour mieux repartir !

À lire sur la fatigue des aidants

Hélène Rossinot est médecin spécialiste de santé publique et médecine sociale, autrice de « Aidants, ces invisibles » et « Être présent pour ses parents », qui vient de paraître aux éditions de l’Observatoire.

Prendre soin d’un proche pendant des années peut être fatiguant, pourquoi ?

Après un diagnostic de maladie, une chute, on a tendance à tout donner tout de suite. La situation d’urgence l’impose parfois, mais prendre soin d’un parent malade ou en perte d’autonomie n’est pas un marathon. On ne peut pas tenir physiquement et mentalement dans la durée sans penser aussi à soi, se ménager des temps de pause et savoir qu’il existe un droit au répit, demander de l’aide. Avec le temps, en plus d’être aidant, on doit aussi continuer à travailler, à prendre soin de sa famille et de ses enfants quand on en a. Et quand ces temps de pause ne sont pas suffisants, voire inexistants, la situation peut vite devenir compliquée à gérer. Avec les années, la lassitude, la fatigue s’installent, parfois jusqu’à l’épuisement.

Tous les aidants familiaux sont-ils concernés par ce risque d’épuisement ?

Accompagner un proche âgé demande beaucoup d’énergie, y compris pour des aidants de proches n’ayant pas forcément de pathologie lourde. De nombreux aidants comparent leur situation à celle des autres : « Moi ça va, mon parent est autonome, il n’est pas aussi malade qu’Untel ». J’ai fait deux entretiens dans la même journée : un aidant de proche atteint d’un cancer en stade avancé et un autre de proche atteint de diabète. Je m’attendais à trouver le premier aidant plus fatigué que le second et c’était finalement l’inverse. L’aidant de la personne atteinte d’un diabète depuis vingt ans était épuisé. La fatigue des proches aidants n’est pas forcément en lien avec la gravité de la pathologie ou de la perte d’autonomie. Se faire du souci en permanence épuise aussi, même quand on habite loin de son parent.

Quelles questions se poser pour savoir si on va bien ou pas ?

Quand on commence à oser dire, par exemple à son conjoint, qu’on en a marre, c’est déjà le signe que ce que l’on gère pour son parent est pesant. Les relations avec lui deviennent aussi parfois plus compliquées, parce qu’inconsciemment, on lui en veut de nous placer dans cette situation. L’anxiété est plus grande, on est plus fatigué, on développe des problèmes de santé, on a mal au dos ou on enchaîne les infections. Il faut être attentif à tous ces signes qui montrent que l’on a besoin de repos. On peut par exemple utiliser l’échelle de Zarit pour se faire une idée de notre état de fatigue et ne pas hésiter à en parler à son médecin traitant.

Dans votre dernier livre, vous dites qu’on a le droit de choisir l’aide que l’on souhaite apporter à ses parents…

S’occuper de ses parents quand on a de bonnes relations avec eux, cela coule de source pour la plupart des gens. Et quand il y a une maladie grave, de type cancer, Alzheimer, Parkinson, ou en fin de vie, beaucoup considèrent normal de se consacrer à la personne malade, de déléguer momentanément plus de choses à son conjoint par exemple. Mais quand cela s’étale sur des années, on ne peut pas mettre sa vie personnelle et professionnelle de côté. Il n’y a pas de devoir à accomplir, de rôle à tenir obligatoirement. Tout va dépendre de la relation que l’on a eu avec son parent, de l’endroit où l’on vit et de ce que l’on veut et peut investir ou pas à un moment donné.
L’aide nécessaire ne doit pas non plus faire oublier ce qui nous unit à nos proches, au-delà de la maladie ou de la dépendance. Quand on est aidant familial depuis longtemps, on s’installe dans une routine de soins, d’aides à coordonner et tout cela prend parfois le pas sur l’aspect relationnel. Une dame me confiait qu’elle se souvenait très bien de la posologie des médicaments de sa mère atteinte de la maladie de Parkinson durant les dernières années de sa vie, mais pas de la dernière fois où elles avaient ri ensemble. S’investir c’est bien, mais gardons en tête que c’est la relation qui prime.

Est-ce normal de culpabiliser et que peut-on faire pour moins en souffrir ?

À la fatigue s’ajoute effectivement chez la plupart des aidants familiaux la culpabilité, l’idée de ne pas en faire assez. « J’ai fait les courses toute la semaine pour ma mère, oui, mais je n’ai pas eu le temps de l’appeler ce matin alors qu’elle est toute seule ». Il faut parfois prendre du recul pour se rendre compte que l’on fait déjà beaucoup. Ne pas avoir fait quelque chose ou avoir raté un appel parce que l’on s’est reposé n’est pas une raison de culpabiliser. On a aussi parfois le droit de penser à soi, d’avoir d’autres choses à gérer. La culpabilité vient aussi de ce que nous renvoient l’entourage ou la société sur ce qu’il est bon de faire pour nos aînés. Une jeune femme avec laquelle j’échangeais récemment disait que si les conseils donnés par l’entourage qui ne participait pas du tout étaient négatifs, elle n’en tenait pas compte. Conseiller aux autres ce qu’ils devraient faire sans apporter aucun soutien n’a effectivement pas beaucoup de valeur. Elle a envoyé promener la moitié de sa famille qui ne faisait que critiquer sans proposer aucune solution. Se ménager passe aussi par des mises au point comme celle-ci.

Vous comparez les années d’aide de ses parents à une longue randonnée, comment tenir dans la durée ?

L’idéal, quand on est au début du chemin, c’est d’anticiper. D’en discuter en famille, avec ses parents, ses frères et sœurs avant d’avoir besoin d’aide, même si c’est un sujet difficile à aborder. De ne pas attendre une chute ou une pathologie lourde pour se demander ce qu’on va pouvoir mettre en place pour ses parents vieillissants. Comment on va concilier sa vie sociale avec sa vie professionnelle.
Malheureusement, dans bien des situations, les choses ne sont pas anticipées. L’important, quel que soit le moment, c’est de communiquer avec ses proches. Dans une fratrie, c’est souvent la fille qui gère (avec des frères et sœurs qui habitent parfois loin) et qui se dit qu’elle va gérer toute seule parce que ce sera plus simple. Mais ça ne tient qu’un temps, pas pendant 5 ans, 10 ans ou plus. Il faut vraiment essayer de se ménager, s’imposer aussi des limites pour tenir dans la durée.
Faire des pauses plus régulièrement et prendre aussi soin de soi permet de repartir après un moment de crise pour des années.

Doit-on parler de ses difficultés à son entourage et aux parents dont on s’occupe ?

On interprète parfois les intentions des autres de manière erronée. On va se dire qu’un frère ou une sœur qui ne fait pas grand-chose s’en fiche alors qu’il vit peut-être des choses difficiles de son côté ou a du ressentiment pour son parent. Je me souviens d’une femme qui n’aidait pas sa sœur parce qu’elle avait eu de très mauvaises relations avec son père. En échangeant toutes les deux, elle a compris qu’elle pouvait soulager sa sœur en gardant régulièrement ses neveux et nièces. Elle ne voulait pas aider son père, mais pouvait aider sa sœur.
Les parents que l’on accompagne sont souvent lucides et conscients de ce que cette présence représente. Il ne faut pas hésiter à échanger avec eux de ce que l’on vit au travail, à la maison, pour que les choses soient dites et comprises. On peut tout à fait dire à son proche : « Je viendrai deux fois au lieu de trois cette semaine », et proposer de remplacer la visite par un appel.
Échanger et dire ses difficultés permet de trouver des solutions qui conviennent à tout le monde.

La Fondation France Répit vient de développer « J’aide, je m’évalue », un nouvel outil (questionnaire et application), pour évaluer son engagement et le risque d’épuisement.