Suicide chez les plus de 65 ans : un risque élevé, mais des moyens d’agir

Mise à jour le 30 août 2022 Suicide chez les plus de 65 ans : un risque élevé, mais des moyens d’agir
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Le 10 septembre prochain aura lieu la journée mondiale de prévention du suicide. Chaque année en France, un tiers des décès concerne les personnes âgées de plus de 65 ans. L’occasion de parler d’un sujet tabou avec Marguerite Charazac-Brunel, psychanalyste spécialiste du sujet et d’obtenir des conseils pour accompagner au mieux nos aînés en souffrance.

Sommaire : à lire sur la prévention du suicide des personnes âgées

Marguerite Charazac-Brunel est psychanalyste, docteur en psychologie clinique et psychopathologie. Elle a une longue expérience de pratique clinique en service d'urgence et en formation à la prévention du suicide. Elle est aussi chargée d’enseignements à l'Université catholique de Lyon.

Le taux de suicide chez les personnes âgées est très élevé, pourquoi ?

Le taux de suicide chez les personnes âgées est effectivement élevé*. On parle d’un tiers de personnes âgées, mais ce chiffre est largement sous-estimé par rapport à celui des adolescents par exemple. Pour les plus jeunes, les causes sont renseignées par les médecins, les services d’urgence, etc. Quand une personne âgée saute par la fenêtre, on met ça sur le compte d’un désordre cognitif, d’une désorientation, même si le geste suicidaire était pourtant évident. D’un point de vue juridique, pour des questions d’assurances ou vis-à-vis de la famille, un décès accidentel est souvent moins gênant. Il y a les suicides dits « actifs » comme la défenestration, la prise de médicaments, la pendaison, facilement repérés du point de vue épidémiologique. Ce qui n’est en revanche pas répertorié, ce sont tous les suicides dits « passifs » comme d’arrêter un traitement vital quand on est diabétique ou malade du cœur en sachant très bien que cela va entraîner la mort. Les suicides par anorexie, c’est-à-dire lorsque les personnes arrêtent de s’alimenter, ou en traversant la rue sans regarder en sachant qu’on va se faire renverser sont des actes suicidaires qui ne sont pas comptabilisés. Les suicides assistés par demande d’euthanasie ou prise volontaire de médicament sont aussi fréquents. Des décisions parfois prise en couple dans le cas où l’un ou l’autre serait atteint d’une maladie incurable ou dégénérative. Le chiffre du taux de suicide en France chez les personnes âgée est selon moi au moins doublé par rapport à ce qui est recensé.

Quels sont les facteurs de risques ?

La peur de l’Ehpad est l’une des premières causes du souhait de mourir chez nos aînés. La plupart des personnes âgées n’ont pas envie d’aller en institution et certaines préfèrent en finir plutôt que d’être privés de leur liberté, voire maltraitées. Il y a aussi la peur de la maladie grave comme le cancer, de la maladie dégénérative. En France on tient bien compte de la douleur physique, mais pratiquement jamais de douleur psychologique, notamment au moment de l’annonce. Les ruptures de liens comme les deuils de conjoints, d’amis, les séparations avec les enfants et les petits-enfants, la solitude, l’isolement, sont aussi des causes de passage à l’acte. Le poids du passé est parfois trop lourd à porter. Je me souviens d’une patiente qui m’a fait part de son souhait de mourir car elle ne voulait pas dire à sa fille que son père n’était pas son père. Elle est revenue à ma demande avec sa fille et a pu finalement lui en parler. Elles ont fondu en larmes, ont pu lever ce lourd secret et cette dame qui voulait en finir s’est apaisée. En vieillissant, les souffrances du passé refont surface et doivent être prises en compte. Il y a aussi toutes les formes de maltraitance, parfois de l’entourage proche de la personne âgée, le non-respect de ses choix et de ses désirs.

Comment distinguer une déprime passagère d'une grande souffrance pouvant conduire au suicide ?

Tout dépend de l’intensité et de la durée de la souffrance psychologique. On peut distinguer les formes de dépression dites normales, suite à un choc, un deuil et les formes plus pathologiques. Si la personne reste relativement ouverte à ce qui se passe autour d’elle malgré la dépression, si elle investit encore certaines choses, on peut se dire qu’il s’agit d’une dépression normale.

En revanche, la dépression pathologique est intense et s’installe dans la durée. Une personne âgée qui ne veut plus se lever, manger, se laver, n’a plus goût à rien, ne veut plus voir personne peut présenter des idées suicidaires avec un risque de passage à l’acte. Il faut dans ce cas associer impérativement à la fois un suivi psychologique, si possible psychothérapique qui tienne compte du passé, et un traitement médicamenteux. Il est aussi essentiel de rappeler qu’une personne qui parle de son envie de mourir doit être prise au sérieux et écoutée avec bienveillance. L’idée selon laquelle ceux qui en parlent ne le font pas est complètement fausse. La plupart des personnes qui se suicident en ont parlé au moins une fois à leur entourage dans les trois mois qui ont précédés. La moindre allusion doit donc être prise très au sérieux.

Que peuvent justement faire les aidants pour accompagner leur proche ?

La première chose à faire pour les aidants est de se faire aider et ne pas gérer seuls la souffrance d’un proche âgé. Certaines personnes âgées peuvent parfois retourner leur dépression d’autodestruction en dépression agressive vis-à-vis de l’entourage, avec une forme de maltraitance envers l’aidant. Il faut faire appel à des professionnels, des infirmiers, des psys, pour les accompagner et accompagner leur proche dépressif et en risque suicidaire. Quand un parent âgé déprime, il ne faut pas hésiter à demander de l’aide. Certains enfants qui me consultent pour parler de la souffrance de leur parent âgé me disent : « Je vous préviens, il ou elle ne va pas vous décrocher un mot ». La plupart du temps, c’est l’inverse qui se produit, la personne âgée ne s’arrête plus de parler de toute la séance et demande à revenir ! Au-delà de l’impact de cette souffrance sur la personne concernée, ses enfants, l’aidant, le suicide d’une personne âgée peut avoir un fort retentissement sur les générations suivantes, avec une possible banalisation de l’acte, notamment chez les petits-enfants. La prévention du suicide est un vrai problème de santé publique, elle est donc essentielle et la vigilance s’impose dans toutes les familles.

*Selon le gouvernement, « Le nombre de décès par suicide est faible comparé aux autres causes de décès chez les personnes âgées. Mais le risque de suicide et de mortalité est statistiquement très élevé par rapport aux autres tranches d’âge de la population ». Les hommes sont davantage concernés que les femmes par les conduites suicidaires et contrairement aux autres tranches d’âge, la détermination est plus forte chez les personnes âgées dont le geste suicidaire entraîne le plus souvent le décès.

Que faire en présence d’une personne âgée suicidaire ?


Pour accompagner un proche âgé en crise suicidaire ou qui évoque des idées suicidaires, vous pouvez :